Développer et vendre ses propres produits: mon retour d’expérience
Il y a un an, j’ai quitté mes clients pour tenter de vivre de mes propres projets. Ça avait pourtant l’air si simple !
Mi-septembre 2017. Il me reste juste assez d’argent pour tenir 3 mois sans revenus. Il est temps de retrouver une stabilité financière. *
Pendant les 12 derniers mois, je devais ma seule rémunération à un CDD d’enseignant, contre 1 à 2 jours de travail par semaine. Le reste du temps, j’étais libre !
Qu’ai-je fait de tout ce temps ? Quels sont les résultats ? Retrospective.
* Pour ceux qui veulent des détails financiers: j’ai vécu avec 2500€/mois depuis la fin de l’été dernier. Dont 1000€ de remboursement du prêt de mon appartement, et 600€ d’impôts. Je touchais environ 1300€/mois (net) de mon travail d’enseignant à mi-temps. Le reste était ponctionné sur mon allocation Pôle Emploi (ARCE) touchée suite à la rupture conventionnelle de mon dernier CDI.
1. Six mois pour devenir un “indie hacker”
En Mars 2016, j’ai rencontré les fondateurs de Mangrove, un collectif de jeunes travailleurs freelances qui prônent l’équilibre entre stabilité financière et réalisation de soi. Ça m’a donné envie de lever le pied sur ma carrière de développeur web indépendant, pour accorder plus de temps à d’autres projets qui m’étaient chers: notamment la pratique de la musique et le développement de mes propres idées de produits.
Puis on m’a parlé d’un site sur lequel nombreux développeurs expliquaient comment ils gagnaient leur vie en développant leur propres produits: Indie Hackers. J’étais conquis !
Je m’imaginais déjà coder toute la journée sur un projet qui me passionnait, être mon propre patron, et gagner suffisamment d’argent pour vivre confortablement. Le rêve ! 😋
Au cours de l’été 2016, j’ai donc décidé d’arrêter de bosser pour mes clients, et de m’accorder du temps pour m’essayer à cet exercice: vivre du développement de mes propres idées.
Alors, pour optimiser mes chances de réussite, j’ai publié ma liste d’idées (pour voir lesquelles avaient le plus de succès), je me suis donné l’objectif d’atteindre au moins 100€ de chiffre d’affaires par mois d’ici 6 mois, et ai adopté une routine de travail hyper productive. Croyant à fond en mes idées, et en mes compétences pour les réaliser, je ne manquais ni de détermination, ni d’optimisme. 💪
En Octobre 2016, j’ai lancé mon premier produit: Next Step for Trello. Une extension permettant de mieux suivre l’avancement de ses projets avec Trello. Ça commençait plutôt bien: j’avais convaincu 3300 utilisateurs en 2 mois, et à moindre effort !
Vu l’engouement suscité par ce premier produit, j’ai interrogé les utilisateurs pour savoir quelles améliorations intégrer pour que celui-ci devienne vraiment indispensable. Sur la base de leurs réponses, j’ai lancé deux campagnes de financement:
- une campagne Kickstarter permettant de financer le développement d’une deuxième version de Next Step for Trello, avec les fonctionnalités demandées;
- et une page Patreon (équivalent américain de Tipeee), pour les utilisateurs attirés par le principe du mécénat: avoir accès à des privilèges exclusifs liés au développement de mes produits, contre donations mensuelles.
Pour motiver les donations, j’ai diffusé plusieurs sessions pendant lesquelles je développais des fonctionnalités en direct et répondais aux questions du public, sur Twitch et Youtube.
J’ai alors vécu ma première déception: malgré les réponses prometteuses de mes utilisateurs, ces deux campagnes de financement ont échoué. 🏜
2. Tentative de formation
Décontenancé par ce premier échec, et ayant observé dans mon entourage un intérêt pour mes techniques de productivité, j’ai décidé de proposer une formation en partenariat avec la startup d’un ami.
Annoncée pour fin Janvier 2017 sous le titre “Comment arrêter de perdre son temps ?”, puis “Augmente ta productivité: apprends à moins procrastiner”, nous avons finalement décidé d’annuler la formation, par manque d’inscriptions…
Au rayon des bonnes nouvelles, j’ai quand même convaincu une des participantes inscrites à bénéficier de 2 heures de coaching personnalisé au lieu de demander le remboursement de sa place !
=> Premier revenus: 100€ reçus en Février 2017. Enfin ! 🙌
Ceci dit, je me suis rendu compte que je n’étais pas assez motivé à l’idée de donner des formations ou du coaching sur le sujet de la productivité, alors j’ai décidé de ne pas persévérer dans cette direction.
Par ailleurs, en discutant avec Poornima Vijayashanker lors de son passage à Paris en Mars 2016, j’ai compris que j’avais des scrupules à demander de l’argent pour les logiciels que je produisais, et que c’était un blocage très répandu chez les développeurs !
À cette occasion, j’ai aussi pris conscience de mes lacunes en marketing, une science pourtant essentielle pour pouvoir vendre quoique ce soit, particulièrement à une époque où l’attention des internautes est surexploitée.
3. Produit pédagogique et projets collaboratifs
M’étant fait à l’idée que Next Step for Trello avait trop peu de chances de devenir viable, et que la formation de productivité ne me motivait pas plus que ça, j’ai décidé d’explorer d’autres pistes:
- Essayer de commercialiser l’outil d’évaluation avec notation automatisée que je développais depuis plus d’un an (pour me faire gagner un temps précieux sur la correction de copies de mes 85 étudiants);
- Et essayer de bosser en équipe sur le développement de mes prochains produits.
J’ai alors commencé à produire et diffuser des vidéos pour présenter les outils que j’avais développé pour mes cours, tout en démarrant parallèlement deux projets collaboratifs:
- “New Day”, une application de gestion de tâches intégrée à Google Chrome;
- et “Clear”, une application permettant d’intégrer de la conversation aux questionnaires client.
Sachant que, comme moi, mes collaborateurs étaient engagés sur d’autres activités pendant cette période, nous avons décider d’accorder une journée par semaine à chaque projet et nous sommes donné 2 mois pour les réaliser.
Au bout des 2 mois, nous avons fait tester les deux produits réalisés, mais les retours des testeurs étaient trop mitigés pour nous motiver à continuer leur développement.
Mon analyse est que nous avons perdu trop de temps à prendre des décisions sur les fonctionnalités de chaque produit, et qu’il aurait fallu investir plus d’une journée par semaine et par projet pour que l’avancement dépasse les “couts” induits par la collaboration: motivation, communication, décisions, etc...
En parallèle, pour commercialiser mon outil d’évaluation, je découvrais les “joies” de la prospection. En m’inspirant des conseils de Justin Jackson, Sean McCabe et Clifford Oravec, je m’étais donné l’objectif de convaincre au moins 3 enseignants d’essayer mon outil dans leur cours, parmi une liste de 100 prospects. Au final, j’ai atteint mon objectif après avoir contacté 67 prospects. Reste à voir si ces essais auront effectivement lieu, et si certains enseignants seront vraiment prêts à payer pour ce genre de solution. 🤔
4. Prise de recul, leçons d’humilité
En Avril 2017, je commençais à comprendre pourquoi la plupart des entrepreneurs disaient se sentir seuls. Entreprendre est une activité pleine d’incertitude, d’échecs, et d’incompréhension de la part de son entourage. Sachant que ça demande énormément d’efforts et de perseverance, le sentiment de solitude n’aide pas…
J’ai aussi pris conscience que mon attention était dispersée dans trop de projets à la fois. Il fallait que j’en mette certains au placard. Alors, j’ai fait une analyse SWOT (en français, FFOR: forces, faiblesses, opportunités, risques) de chacun des projets, pour m’aider à trancher.
Enfin, j’ai réalisé que j’avais adopté une posture de développeur hyper-productif (souvent appelé “10x developer”, en anglais) qui s’avérait être une carapace que j’avais décidé de porter pour camoufler mes craintes, mon manque de confiance en moi et en les autres.
Extraits traduits en français:
“Si je veux concevoir d’excellents produits, je dois combattre mes craintes et devenir un meilleur communicant, un meilleur co-équipier, un meilleur être humain.” (Mai 2017)
“J’ai besoin de savoir ce que je veux, et ce que je ne veux pas. Et, ces derniers temps, j’ai du mal à trouver…” (Juin 2017)
5. Lâcher-prise et dernier élan
En Juin 2017, il ne me restait assez d’économies que pour tenir 3 mois. À ce stade, seul un miracle aurait pu me faire atteindre mon objectif de chiffre d’affaires. Je savais que c’était la dernière ligne droite.
J’ai alors décidé de suivre 3 directives:
- Laisser mes projets dans un état propre et fonctionnel, à défaut d’être finis;
- publier du contenu qualitatif pour présenter ce que j’avais produit;
- et investir du temps sur les projets qui me faisaient le plus plaisir, en suivant mon instinct plutôt que mon analyse SWOT.
J’ai alors publié:
- un retour d’expérience sur mes 2 années d’enseignement à l’EEMI,
- une vidéo concise pour présenter mon outil d’évaluation pédagogique,
- une liste de diffusion pour les enseignants intéressés par cet outil,
- et lancé une campagne de donations pour permettre à mon projet le moins viable mais le plus passionnant de rester en ligne: Openwhyd.
Contre toute attente, et même si cette nouvelle ne me permet pas d’atteindre mon objectif personnel de viabilité, la campagne de donations a été un succès ! Non seulement nous avons récolté en une semaine suffisamment de dons pour financer 4 mois d’hébergement, mais en plus cet élan a motivé plusieurs volontaires à contribuer au projet !
En Juillet 2017, j’ai décidé de participer au concours Codegeist organisé par Atlassian, en proposant une extension pour Trello: “Comment Editor by AJ.” Elle ne m’aura pas permis de remporter le concours, mais le fait que Trello l’ait intégrée officiellement me permet d’être reconnu comme un développeur capable de produire des extensions de qualité. En effet, mon premier produit, “Next Step for Trello” était aussi une extension, mais celle-là n’était pas officiellement intégrée dans Trello. Sentiment d’accomplissement, donc.
Par ailleurs, j’ai ouvert une communauté de créateurs de produits appelée “Work In Progress”, pour aider et encourager les développeurs qui comme moi ont décidé de développer leurs propres projets.
Et, avant de partir en vacances aux USA, j’ai redécouvert les joies de la soudure à l’étain !
Conclusion et suite
J’espère que ce retour d’expérience aura permis à mes proches de mieux comprendre ce que je faisais de mes journées depuis l’été dernier. Et qu’il déculpabilisera ceux qui, comme moi, ne sont pas parvenus à rendre leurs projets viables.
Si cela vous intéresse, j’écrirai probablement un second article listant de manière plus concise tous les enseignements que je retire de cette expérience, et des conseils à ceux qui auraient envie de se lancer à leur tour.